Lors de ces soirées de débats où les chefs de partis se livrent parfois à de virulents combats verbaux, je suis souvent étonné de voir à quel point on s’obstine sur des faits… et sur la valeur des promesses. Comment pourrions-nous améliorer cette situation?
Lors des débats des chefs de partis, combien de fois entendons-nous «c’est faux», «vous avez tort», «c’est inexact» ou autre chose du genre. C’est fascinant de voir à quel point certains faits ne sont pas admis unanimement. Ce sont pourtant des faits. Bien sûr qu’il peut y avoir différents angles sous lesquels un fait complexe peut être analysé mais la plupart des faits dont on parle dans une campagne électorale ne sont pas complexes.
Évidemment, il existe une telle quantité d’informations qu’il est impossible pour quelconque candidat de tout savoir. Mais malgré cela, lorsque les chefs se préparent pour certaines questions et qu’ils avancent des faits, ces derniers devraient être «inattaquables» dans la mesure du possible. Beaucoup de cacophonie et de perte de temps seraient ainsi évitées.
Toutes les idées émises par les chefs vont dans un sens: améliorer la qualité de vie des Québécois (des Canadiens au fédéral). Ce sont les chemins pour y arriver sont différents. Et quelles différences! Celles-ci sont issues de différents modèles économiques qui servent à prédire le futur. S’il n’y avait qu’un seul modèle, les différences entre les programmes des partis se situeraient simplement au niveau de la définition du «bien commun».
Lorsqu’on parle d’augmenter le salaire minimum à 15$ ou d’arrêter la progression de la rémunération des médecins spécialistes, ce ne sont bien souvent que des opinions, sans rigueur scientifique, qui dirigent les prises de position.
Hier soir, on a parlé de l’Ontario. Plusieurs désirent la parité avec cette province pour ces deux sujets. Pourquoi? Pourquoi augmenter le salaire minimum pour le rendre égal à celui de l’Ontario?
Une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a produit le rapport Que reste-t-il aux ménages qui travaillent au salaire minimum ? Lorsque l’étude a été publiée, en décembre 2016, le Québec occupait le 6ème rang au Canada en matière de salaire minimum. Autrement dit, le Québec était dans la moitié inférieure. Sachant cela, on pourrait alors mettre de la pression pour atteindre le niveau des «meilleures» provinces.
Mais… sur quelle base ? Pourquoi suivre les autres aveuglément?
L’étude parle de la notion de «mesure du panier de consommation» (MPC). Il s’agit d’une «mesure de faible revenu basée sur le coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base». C’est avec ce genre de mesure qu’on peut exiger ou non une hausse du salaire minimum.
La surprise: dans cinq situations sur les six analysées (personne seule, couple avec ou sans enfants…), le Québec est PREMIER! Et pour la sixième situation, il est 3ème … Autrement dit, c’est au Québec qu’on peut se procurer le plus de biens de base, la plus haute proportion du MPC, lorsqu’on gagne le salaire minimum. Quand on sait ça, on n’a plus de raisons de demander la parité avec quiconque.
Même raisonnement avec le salaire des médecins spécialistes. Le coût de vie en Ontario est plus élevé qu’au Québec. Regardez le prix des maisons à Toronto et dites-moi qu’un médecin n’a pas besoin de gagner plus d’argent qu’au Québec pour avoir le même niveau de vie!
À quand la rigueur scientifique dans les promesses électorales et les négociations avec les salariés de l’État?
Cela dit, le vérificateur général du Québec (aujourd’hui « la vérificatrice ») s’est vu récemment confier un nouveau mandat, celui de valider les chiffres du gouvernement avant une élection afin qu’un nouveau parti porté au pouvoir ne puisse mettre le blâme sur l’administration précédente pour reporter, modifier, voire annuler, certaines promesses.
C’est un pas dans la bonne direction mais la «VG» n’a pas nécessairement outillée pour valider l’intégrité d’un cadre financier. Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas que des faits qui sont étudiés. On doit analyser des chiffres découlant d’hypothèses pour le futur. Et un comptable n’est pas un spécialiste de projections financières.
Mais revenons aux débats…
La rigueur de certains échanges pourrait être augmentée si, dans leur préparation, les chefs présentaient des sources fiables de leurs énoncés. On pourrait étendre ce principe à toutes les promesses faites par les partis pendant la campagne. Ce serait comme «la vérif» d’après débat, cette bonne idée de Radio-Canada, mais étendue à l’ensemble de tout ce qui est calculable.
Imaginez ce qui suit et combien on en sortirait tous gagnants.
Un comité indépendant, formé de différents spécialistes ainsi que de représentants des différents partis, est constitué au sein du Directeur général des élections du Québec (également au Canada). Les spécialistes (actuaires, comptables, économistes, fiscalistes…) font des calculs pour chiffrer CHAQUE PROMESSE qu’un parti entend faire au cours d’une campagne. Les partis peuvent faire des demandes à ce comité à tout moment.
Les chiffres doivent être approuvés par les représentants de chaque parti et ils deviennent alors « VALIDÉS ». La plupart du temps, certaines hypothèses pour le futur sont nécessaires et comme on ne connaît pas le futur avec certitude, ce sont souvent des fourchettes de valeurs réalistes qui sont calculées.
Il en va de même avec les faits que les chefs entendent utiliser lors des débats. Ainsi, lorsqu’il est question de faits, certains sont « validés » alors que d’autres ne le sont pas.
Trop beau pour être vrai? Trop compliqué pour être mis de l’avant?
Fini les obstinations sur les chiffres. Il ne resterait que des prises de positions différentes sur la meilleure façon d’atteindre les objectifs que les partis se donnent. Ça ne signifierait pas que les fourchettes annoncées ne pourraient pas être erronées mais, au moins, tous les partis s’entendraient sur les impacts de leurs promesses. L’électeur serait bien mieux éclairé avant d’aller mettre son « X » sur un bulletin de vote.
Mais je pense que je suis mieux de continuer à rêver.
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