Les médias en ont peu parlé la semaine dernière, mais le budget fédéral peut faire mal aux gens d’affaires.
Avant d’aller plus loin, laissez-moi vous donner ma conclusion :
Les mesures fiscales proposées dans le budget ne remettent pas en cause les avantages de l’incorporation d’une entreprise.
L’optimisation fiscale prend encore plus d’importance dans le nouveau contexte. Les conseillers financiers ont intérêt à travailler avec les comptables et les fiscalistes de leurs clients pour que tous soient sur la même longueur d’onde.
Voyons maintenant pourquoi je pense ainsi…
Deux mesures ont été proposées dans ce budget. Elles s’appliqueront aux exercices financiers débutant en 2019 ou après. La première mesure touche la perte totale ou partielle du « petit taux » pour les sociétés (compagnies) appartenant à des personnes «riches», et l’autre, plus technique, touche la réduction totale ou partielle de remboursements d’impôt aux sociétés qui, justement, ont perdu ce petit taux.
Le «petit taux», le «gros taux»… de quoi parle-t-on au fait ?
On parle du taux d’imposition payable sur les bénéfices d’exploitation d’entreprise, autrement dit, de la business… pas des placements…
Il y a des critères à respecter pour avoir droit au petit taux. Il faut savoir aussi que lorsque la société paie ce petit taux, l’actionnaire, lorsqu’il se verse des dividendes par la suite, paie plus d’impôt que si la société avait payé le «gros taux ». Dans les deux cas, lorsqu’on additionne les deux impôts (l’impôt payé par la société plus l’impôt payé par l’actionnaire), on arrive sensiblement au même résultat. Non seulement ça, mais on n’arrive aussi au même résultat que si le revenu avait été gagné par un individu au lieu d’être gagné par une société par actions. C’est ce qu’on appelle le principe d’ « intégration ». Il n’est pas parfait, mais il est «fait la job», comme on dit…
Or, quand on sait ça, on pourrait penser qu’il n’y a aucun impact à perdre le petit taux parce que, de toute façon, lorsque l’argent se ramasse dans les mains de l’actionnaire, ça revient au même.
Erreur!…
Lorsque TOUT l’argent sort de la société pour entrer dans les poches de l’actionnaire, c’est vrai. Mais s’il reste de l’argent dans la société – l’une des raisons principales de l’incorporation – le décalage fait mal.
En effet, le petit taux est à 18 % en 2018 et le gros taux est à 26,7 %. C’est 8,7 % de différence sur des bénéfices pouvant aller jusqu’à 500 000 $… 43 500 $ de moins à investir pour la société. Ça commence à paraître… mais on ne peut tirer de conclusion sans faire de projections dans le futur.
Maintenant, comment perdra-t-on ce petit taux avec les nouvelles mesures fiscales?
Lorsque les revenus passifs (revenus de placement : intérêts, dividendes, gain en capital imposable) excèderont 50 000 $ dans une année. Pour chaque dollar excédentaire, 5 $ des 500 000 $ mentionnés plus haut sont retranchés. Cela veut dire qu’à compter de 150 000 $ de revenus de placement, bye byepetit taux!
Vous pensez peut-être d’être épargné en envoyant l’argent dans une autre société (de gestion)… Malheureusement pour vous, les placements qui seront considérés seront ceux de toutes les sociétés du même groupe. Inutile de multiplier les compagnies…
Un des effets néfastes a trait aux structures dans lesquelles les parents sont encore impliqués… les placements de leurs propres sociétés pourraient être considérés dans les calculs et faire perdre le petit taux à leurs enfants…
La deuxième mesure, quant à elle, est plus technique, comme je l’ai dit plus haut. Sans entrer dans les détails, retenez que, une société par actions qui a des placements paie de l’impôt « à l’avance » et elle se fait rembourser cet impôt à un moment donné. Ce moment donné arrive lorsque l’argent sort de la société pour entrer dans les poches de l’actionnaire.
Or, avec les règles actuelles, il est possible qu’une société payant le gros taux d’impôt verse un dividende à son actionnaire (ce dernier payant moins d’impôt) et demande un remboursement d’impôt qui a été payé sur des sommes n’ayant PAS été imposées au gros taux à l’origine.
Si je vous ai perdu, ce n’est pas grave… sachez simplement que, dans bien des cas, les remboursements dont peuvent bénéficier les sociétés seront réduits, à la limite reportés. Autre impact négatif…
Mais de quoi parle-t-on en fin de compte?
Des pertes… pour les gens en affaires.
Prenons un exemple pour illustrer le tout.
Disons que Gertrude est une nouvelle femme d’affaires de 40 ans qui exploite une entreprise embauchant une dizaine de travailleurs à plein temps.
Les hypothèses sont les suivantes :
Bénéfice avant impôt de 405 000 $ (avant frais comptables de société)
Frais comptables de société de 5 000 $
Coût de vie de 100 000 $ par année, financé par des dividendes
Rendement de ses placements de 4 % par année (1% en intérêts, 1% en dividendes et 2% en gains en capital)
Aucun argent de côté
Retraite à 65 ans
Décès à 95 ans
Québec suivra le fédéral au prochain budget
Une série d’autres hypothèses doivent être utilisées afin d’illustrer le futur. Je vous en ferai grâce, mais sachez qu’elles sont réalistes.
Avec ces chiffres, les nouvelles mesures pourraient frapper Gertrude à compter de 2036. À ce moment, elle commencerait à payer plus d’impôt dans sa société. À la fin des projections, à 95 ans, la valeur de la succession de Gertrude passerait d’une valeur de 9,0M $ à 8,4M $, soit une perte de 600 000 $ pour les héritiers.
Plusieurs choses peuvent être faites pour améliorer la situation de Gertrude. Par exemple, elle aurait peut-être avantage à se verser une partie de sa rémunération sous forme de salaire plutôt qu’en dividendes uniquement.
Avec un besoin de 100 000 $, d’après mes calculs, il faudrait qu’elle se verse un salaire de 162 251 $ en 2018 pour qu’il lui reste, après ses cotisations sociales, 100 000 $ pour dépenser. Sans entrer en guerre contre les » croyants » du salaire ou du dividende, on pourrait se demander s’il serait rentable de se verser ce niveau de salaire jusqu’à sa retraite.
Pas vraiment… Sa valeur successorale baisserait à 8,2 M $, soit une perte de 200 000 dollars!
On doit donc faire des calculs pour se rendre compte que Gertrude aurait avantage à se verser un salaire de… 23 000 $ par année et le reste en dividendes, selon mes hypothèses. De cette façon, sa valeur successorale grimpe à 8,6M $.
Pour la pertinence de s’incorporer ou non… Si Gertrude gagnait personnellement un montant de 405 000 $, sa valeur successorale serait de 5,0M $!
Rajoutons à cela une foule d’autres stratégies utilisant des produits financiers fiscalement avantageux (un RRI ou mieux… un PPP, des fonds constitués en société, des produits d’assurance…) ainsi qu’une optimisation mathématique des flux monétaires et la valeur successorale de Gertrude peut grimper de manière significative… au point où les effets des nouvelles mesures, bien qu’inévitables, pourront être grandement atténués.
Mais, pour cela, il faut abandonner certaines «croyances» et faire confiance aux mathématiques…
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